Neuf villes sont en concurrence pour accueillir le nouvel organe de surveillance de la criminalité financière.
Jusqu'à présent, l'Union européenne ne disposait pas d'un organisme central de lutte contre le blanchiment d'argent, mais cela devrait changer ce mois-ci. En décembre 2023, le Conseil de l'UE et le Parlement européen ont convenu de créer la nouvelle autorité, afin de remédier aux faiblesses du cadre actuel de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT).
Mise en place de l'autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux
La principale faiblesse du cadre actuel de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme de l'UE permet aux criminels d'utiliser le système financier de l'UE à des fins transfrontalières. C'est pourquoi un plan d'action a été proposé en 2020 pour une politique européenne unifiée, et en 2021, la Commission européenne a élaboré une proposition pour la nouvelle autorité. Deux ans et demi plus tard, un accord sur l'autorité a été établi, mais ce n'est que le22 février 2024 que la ville abritant l'AMLA sera annoncée.
En ce qui concerne le choix du site, les 27 députés européens - un par État membre - représenteront le Parlement. Ils peuvent décider du vote avant le Conseil, qui a déjà accepté de "voter comme un seul homme". Ainsi, plusieurs tours de vote internes pourraient être nécessaires pour qu'une ville soit choisie par la majorité.
Que fera l'AMLA ?
AMLA est mis en place pour plusieurs raisons. Selon leurs propres termes :
"La création de cette nouvelle autorité est essentielle pour assurer une surveillance efficace et adéquate des entités soumises à obligations qui présentent un risque inhérent élevé de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, pour renforcer les approches communes en matière de surveillance des entités soumises à obligations non sélectionnées et pour faciliter les analyses conjointes et la coopération entre les cellules d'enquête financière (CRF)". - Proposition visant à instituer l'Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et à modifier les règlements (UE) n° 1093/2010, (UE) n° 1094/2010 et (UE) n° 1095/2010.
Les principales priorités de l'AMLA seront les suivantes
- Établissement du règlement de l'UE sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme
- Mise en œuvre du règlement et du cadre européen existant en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme
- Améliorer et renforcer les aspects internationaux du cadre
- Supervision des États membres en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme
- Contribuer à la coopération, à l'analyse et au soutien des CRF en élaborant des modèles et des normes communs pour l'établissement des rapports
- Application des dispositions de droit pénal/amélioration de l'échange d'informations entre les États membres
Parallèlement à ces processus, l'AMLA devrait également assister le Groupe d'action financière (GAFI), reprendre la base de données AML/CFT de la Banque centrale européenne et gérer FIU.net, le réseau de communication sécurisé actuellement exploité par Europol.
On espère qu'en prenant des mesures, l'UE pourra anticiper les tendances futures de la criminalité financière avant qu'elles ne se produisent.
Que gagnera une ville en devenant le nouveau siège d'AMLA ?
La ville - et son pays - gagnent beaucoup à devenir le nouveau siège d'AMLA. Non seulement le secteur financier du pays bénéficiera d'un coup de pouce significatif en termes de prestige mondial et de reconnaissance de l'industrie, mais le statut du pays au sein de l'UE s'en trouvera également amélioré.
Par ailleurs, la mise en place effective du siège nécessitera beaucoup de personnel ; jusqu'à 400 emplois devraient être créés grâce à cette initiative, ce qui aura pour effet d'injecter de l'argent dans l'économie locale.
Quelles villes souhaitent accueillir l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment de capitaux ?
Neuf candidats cherchent à accueillir le siège de l'AMLA. Comme on pouvait s'y attendre, l'appel d'offres pour l'autorité a été extrêmement compétitif, neuf pays cherchant à s'imposer comme le principal candidat.
Les neuf villes sont les suivantes
- Rome, Italie
- Paris, France
- Francfort, Allemagne
- Madrid, Espagne
- Vienne, Autriche
- Dublin, Irlande
- Bruxelles, Belgique
- Vilnius, Lituanie
- Riga, Lettonie
Nombreux sont ceux qui pensent que les favoris pour accueillir l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent sont Paris et Francfort, suivis de Rome et de Madrid. Dans le peloton de tête, on trouve Dublin, Bruxelles et Vienne, Vilnius et Riga étant les "chevaux noirs" de la candidature.
Avantages et inconvénients de chaque ville
Comme dans toute procédure d'appel d'offres, chaque ville en lice pour devenir le nouveau siège d'AMLA présente un certain nombre d'avantages et d'inconvénients. Nous les présentons ci-dessous de la manière la plus succincte possible.
Rome, Italie
Avantages : Ces dernières années, l'Italie a fait preuve d'une grande fermeté à l'égard de la criminalité organisée, se targuant d'avoir procédé à d'importantes saisies d'actifs. En outre, le pays est très présent au sein du GAFI. L'engagement clair de l'Italie en faveur de la lutte contre le blanchiment d'argent constitue un argument convaincant en faveur du choix de Rome comme nouveau siège de l'AMLA.
Inconvénients : bien que l'Italie se montre particulièrement énergique dans la lutte contre la criminalité financière à l'heure actuelle, ce n'est pas le cas si l'on considère les efforts déployés par le passé. Cela pourrait jouer en sa défaveur lors des dernières étapes de la sélection.
Paris, France
Avantages : Après le Brexit, Paris abrite le plus grand secteur bancaire de l'UE (en termes d'actifs). La ville abrite également l'Autorité bancaire européenne et l'Autorité européenne des marchés financiers. Par ailleurs, le GAFI est également basé à Paris, et ce depuis sa création en 1989. Les 35 années d'expérience dans la lutte contre la criminalité financière font de la ville un excellent choix du point de vue de l'efficacité ; non seulement les deux bureaux pourraient échanger des informations de manière simple, mais une grande partie de l'expertise en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme est déjà contenue dans la ville.
Inconvénients : l'Union européenne pourrait ne pas souhaiter concentrer ses efforts de lutte contre le blanchiment d'argent dans une seule ville. En outre, le pays ne semble pas soutenir pleinement sa candidature, avec un soutien financier limité (15 millions d'euros). En outre, des questions continuent d'être posées quant à la supervision stricte des organisations à but non lucratif par le pays.
Francfort, Allemagne
Pour : Comme Paris, Francfort abrite déjà des sièges financiers importants, notamment la Banque centrale européenne (BCE) et une nouvelle agence fédérale de lutte contre la criminalité financière (BBF). Ces institutions pourraient s'intégrer parfaitement à l'AMLA, en renforçant l'efficacité de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.
Inconvénients : l'Allemagne panse encore ses plaies après le scandale Wirecard, qui a conduit à la création du BBF. La contribution financière que le pays a proposée pour soutenir sa candidature n'est pas aussi généreuse que d'autres (10 millions d'euros), et la concentration d'un si grand nombre de centres financiers dans un grand pays de l'UE, qui est déjà un bastion financier de l'Europe, n'est peut-être pas dans l'intérêt de l'Union.
Madrid, Espagne
Avantages : L'Espagne bénéficie d'une notation extrêmement positive du GAFI et Madrid est considérée comme un centre financier important au sein de l'UE. Elle dispose d'un secteur de lutte contre le blanchiment d'argent mature et impressionnant, et la ville est également très active dans le domaine de la cybersécurité, ce qui contribue à renforcer sa candidature. Le pays a également offert la Torre de Cristal, le plus grand gratte-ciel de la ville, pour qu'elle soit utilisée gratuitement comme siège de l'établissement.
Inconvénients : le principal argument contre l'Espagne concerne sa récente réglementation sur la propriété effective ultime, qui a été lancée en septembre 2023 pour se conformer à la directive de l'UE sur la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Ce registre est en libre accès, ce qui pourrait nuire à la possibilité pour l'Espagne d'accueillir le siège de l'AMLA. Malgré cela, il s'agit d'un candidat sérieux dans la course.
Vienne, Autriche
Pour : L'Autriche est considérée comme un candidat sérieux pour héberger l'AMLA, l'absence de scandales liés à la criminalité financière et à l'AML ayant certainement aidé sa cause. Vienne est aidée dans sa candidature par sa situation centrale et sa capacité apparente à coordonner la lutte contre la criminalité financière avec d'autres organisations internationales déjà présentes dans la ville, telles que l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).
Inconvénients : l'Autriche était considérée comme un choix convaincant et un "cheval noir" dans la course. Cependant, le pays organise des élections cette année et le gouvernement a été remarquablement discret sur sa candidature, ce qui pourrait susciter un regain d'intérêt. Par ailleurs, le pays entretient toujours des contacts financiers étroits avec quelques institutions russes, ce qui peut susciter l'inquiétude.
Dublin, Irlande
Pour : Contrairement aux autres candidats, la candidature de Dublin a bénéficié d'un soutien financier important de la part du gouvernement irlandais (80 millions d'euros), qui a notamment couvert le loyer et les coûts des locaux pendant neuf ans. Avec une notation positive du GAFI et un leadership fort en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, la ville est un choix convaincant.
Inconvénients : bien que le pays ait une note globale positive du GAFI, il est mal perçu par ce dernier en ce qui concerne les saisies d'actifs, et il a également choisi de ne pas faire partie du Parquet européen, qui enquête sur le crime organisé et le blanchiment d'argent par-delà les frontières. Si l'on ajoute à cela le statut de paradis fiscal du pays (il a été critiqué pour ses relations avec Apple, par exemple), le coût élevé des logements et sa mauvaise situation géographique par rapport aux autres pays de l'UE, ces difficultés pourraient s'avérer être le revers de la médaille de Dublin.
Bruxelles, Belgique
Avantages : Si l'emplacement est considéré comme le plus important pour la création du siège de l'AMLA, Bruxelles est un choix évident, les principaux bureaux de l'UE étant disséminés dans la ville. Cela permettrait une coopération étroite.
Inconvénients : à l'instar de l'Allemagne, l'UE ne souhaite peut-être pas concentrer davantage de pouvoirs dans la ville. En outre, l'identité de la Belgique a récemment fait l'objet de débats politiques et des élections sont prévues en juin 2024. Il est préférable d'éviter une telle instabilité lorsque l'on cherche le nouveau siège d'AMLA.
Vilnius, Lituanie
Avantages : Comme Tallinn en Estonie, Vilnius s'impose rapidement comme un centre de la fintech au sein de l'UE. Son statut croissant à cet égard, ainsi que son impressionnant bilan en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, l'aident à se démarquer des autres candidats, en particulier si l'on considère qu'elle occupe la meilleure place dans l'indice de Bâle sur le blanchiment d'argent (9e risque le plus faible au total), soit trois places de plus que la France. En outre, le pays a également de l'expérience dans la réglementation des entreprises fintech de pointe, y compris celles qui traitent les crypto-monnaies.
Inconvénients : la situation géographique de la Lituanie ne favorise pas sa candidature, sa frontière avec la Russie étant un sujet de préoccupation à la lumière de la guerre entre la Russie et l'Ukraine. En outre, le pays est actuellement en train de rendre compte à Moneyval de son renforcement des réglementations en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme (LBC/FT). Malgré cela, il fait de bons progrès dans ce domaine et un nouveau suivi est attendu dans le courant de l'année. Hélas, la décision sur l'AMLA pourrait arriver un peu trop tôt pour le pays qui cherche à surpasser des villes plus établies.
Riga, Lettonie
Avantages : Riga est considérée comme un outsider dans la candidature pour devenir le siège de l'AMLA. Malgré cela, le gouvernement letton a appuyé de tout son poids la candidature, soulignant le statut historique de Riga en tant que plus grande ville des pays baltes et en tant que carrefour commercial important vers l'Europe par la mer Baltique. En outre, le pays souligne sa conviction que le siège de l'AMLA doit être le reflet d'une vision de croissance et de coopération, et fait état de ses améliorations et réformes en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Enfin, le pays cherche à rééquilibrer les pouvoirs au sein de l'UE en s'éloignant de Bruxelles et de Francfort.
Inconvénients : bien que le pays souhaite mettre en avant ses réformes en matière de lutte contre le blanchiment d'argent, le fait qu'il doive le faire met en lumière ses scandales financiers passés qu'il cherche à oublier. Ses récents progrès dans ce domaine pourraient ne pas suffire à lui permettre de remporter l'appel d'offres, alors que, comme la Lituanie, il souffre également de sa frontière avec la Russie et de la géopolitique actuelle dans la région.
Quand l'AMLA sera-t-il opérationnel ?
Le22 février 2024, nous saurons qui a remporté l'appel d'offres pour accueillir l'Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux. Le siège devrait être opérationnel d'ici la fin de l'année, avec un effectif initial de 100 personnes si tout se passe comme prévu, mais qui passera à 400 personnes d'ici la troisième année. Les budgets estimés pour l'AMLA varient entre 12,8 et 30 millions d'euros. Une fois que le siège de l'Autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux aura été choisi, la nouvelle législation européenne en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux sera finalisée.
Conclusion
En conclusion, toutes les villes qui se trouvent à ce stade du processus ont une excellente occasion d'accueillir l'AMLA. En plus de remporter l'appel d'offres, le pays choisi améliorera également sa visibilité au sein de l'UE. La ville sélectionnée devra donc être équipée pour assumer les responsabilités liées à l'accueil de l'AMLA, mais aussi s'engager à favoriser la confiance et la collaboration entre ses États membres, afin de contribuer à la lutte contre le blanchiment d'argent, non seulement aujourd'hui, mais aussi à l'avenir.